Endurants, passionnés, les nouveaux élus sont plus jeunes, plus dynamiques... Ce qui ne sera pas de trop pour tenir les trépidantes exigences de madame la présidente. Lors de cette séance publique du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010, Ségolène Royal récompensa les loyautés, divisa le pouvoir au sein des alliances de sa majorité et donna à la société civile de beaux représentants... Sachant qu'une élue avertie en vaut deux, le recours mesuré à la société civile est la mesure de toute pondération politique.
Les élus de la majorité picto-charentaise s'indignèrent des atermoiements du président de l'Association Centrale des Laiteries Coopératives des Charentes et du Poitou, un certain Jean-Pierre Raffarin... très oublieux de l'esprit des coopératives, oublieux des agriculteurs indépendants au nom des dérèglementations bruxelloises !
Le secrétaire d'état de Pierre Mendès France, un certain Jean Raffarin, a dû se retourner dans sa tombe, encore une fois... En ce temps, un verre de lait des laiteries de France étaient quotidiennement donné aux enfants de France... Un lait de proximité, de circuit court, écologique !
Au diable la nostalgie ! Au diable la régression ! L'âme de la campagne de France n'est pas à vendre !
Poitou-Charentes soutient l'APLI et créé l'Office du lait envoyé par kritixTV.
La région Poitou-Charentes ne se résout pas à la fatalité et soutient l'Association des Producteurs du Lait Indépendants (APLI) en créant, notamment, un Office du lait.
Extrait de la séance publique du conseil régional Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
Office du lait : la ruralité n'a plus de secret pour Poitou-Charentes...
Madame la présidente Ségolène Royal, comme à son habitude, ne se ménagea pas : « Nous passons à la délibération concernant le soutien à la filière "lait équitable" de la région Poitou-Charentes. Vous savez que ce secteur souffre cruellement... D'ailleurs j'ai participé à la manifestation de femmes de producteurs de lait... Lorsque les femmes se mettent en mouvement, c'est que ça va très très mal, notamment dans les familles ; certaines femmes sont en dessous du seuil de pauvreté dans la filière lait !
Et nous venons, dans la région, de mettre en place une filière "lait équitable" qui va garantir un revenu décent pour tous les acteurs de la filière — notamment pour les producteurs qui veulent voir leur travail rémunéré correctement —, [qui va garantir] le maintien du potentiel de la production agricole et industriel régionale ; [et qui va garantir] une alimentation saine accessible à tous.
Madame la présidente Ségolène Royal lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
Nous avons enfin [lancé], le 26 septembre 2009, un appel à projet "lait équitable en Poitou-Charentes" qui [répond] ainsi à la demande de nouveaux producteurs qui, depuis de nombreuses années, demandent la mise en place de nouvelles filières qui garantissent un juste partage de la valeur ajoutée le long de cette filière : de la production, en passant par la commercialisation, la transformation et la vente. Nous avons soutenu les démarches menées par l'Association des Producteurs de Lait Indépendants (APLI) : [il s'agit d'une réforme de l'organisation] de la filière du lait régional. L'APLI a déjà bénéficié d'un soutien régional pour ses nombreuses actions de sensibilisation et de soutien aux éleveurs. Et aujourd'hui, je vous propose de développer notre intervention avec le levier suivant [...] :
D'abord : le soutien à la démarche de création d'un office du lait régional et la mise en place d'une filière "lait équitable" en nous appuyant notamment sur les coopératives dont les producteurs en activité devraient assurer la gestion ; y compris les fédérations régionales et nationales.
Deuxièmement : soutenir la création de coopératives laitières dés lors qu'elles s'engageront dans la démarche "lait équitable Poitou-Charentes" assurant une juste rémunération des producteurs ainsi que la production d'un lait de bonne qualité.
Troisièmement : soutenir le développement d'une filière "lait équitable national" par une intervention auprès des autres régions de l'Ouest — les travaux ont déjà commencé — afin qu'elles puissent intégrer la démarche de création des offices régionaux du lait...
Quatrièmement : maintenir, d'une part, la maîtrise de production laitière par le système des quotas laitiers. Et [maintenir], d'autre part, les outils de régulation du marché des produits laitiers par une intervention auprès du gouvernement français. Et enfin soutenir la demande de régionalisation : ce n'est pas la première fois que nous le faisons ! Nous savons que d'autres régions en Europe ont droit à cette régionalisation des aides qui leur permet de répartir plus judicieusement les aides à l'agriculture, notamment à l'élevage... Nous souhaitons donc la régionalisation des aides [du premier pilier] de la PAC, en amplifiant les actions inter-régionales conduites à ce titre.
Ce sont bien sûr des actions très importantes et très attendues ! Ce sont des actions structurelles, c'est vrai, qui prennent un peu de temps [...]. [Mais, grâce à ces actions,] un certain nombre de projets, j'espère, seront opérationnels dans les semaines qui viennent... Et [ces actions] complètent les actions d'aide d'urgence que la région a mobilisé auprès des familles les plus en difficultés. »
Le président de l'ACLCCP, Jean-Pierre Raffarin, reporte sine die ses engagements sur la mise en place d'un plan inter-régional laitier !
Le vice-président Serge Morin, apparenté Europe-Ecologie, montra la cohérence des politiques régionales qu'il vota souvent depuis 2004 : « Pour revenir à ce que disaient monsieur de Richemont et monsieur Chartier, sur l'historique de ce dossier, sur ce que nous disons depuis plusieurs mois... Au mois de décembre dernier, le représentant de l'État en Poitou-Charentes avait annoncé qu'il demandait aux structures économiques de mettre le prix du lait à 300 euros la tonne. C'était au mois de décembre ! Ça n'a jamais été fait ! Et nous avons eu aucun retour du préfet de région ! C'était une décision de l'État de demander [de fixer le prix du lait] à 300 euros la tonne.
Deuxième chose : [...] monsieur Raffarin s'était engagé à demander à l'État et à l'Europe un plan inter-régional laitier pour sauvegarder le Limousin et l'Ouest ! Nous attendons toujours ! On n'était pas dupe, mais on y croyais un peu. Ça c'est la première chose.
Deuxième chose que je voudrais dire sur ce dossier : c'est que le mode de production qu'on a mis en place, en particulier en France, [...] avec le type de bâtiment, le type de façon de produire de la protéine, [...] fait qu'on est tributaire des imports, qu'on est tributaire de la spéculation internationale sur le problème des protéines et des huiles... Et que, indirectement, bien que les gens travaillent beaucoup d'heures sur le terrain, on a des prix de revient qui sont plus élevés !
Madame la présidente Ségolène Royal lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
Et maintenant on est dans une mécanique qui s'est grippée, parce qu'on a cassé la politique des quotas, on a cassé la maîtrise des productions, on a cassé le système de garantie des prix avec les filets de sécurité européen. Et maintenant, on est dans l'impasse totale au niveau régional, au niveau national et au niveau européen ! Et moi, je crois qu'il faut que l'on ait des propositions constructives en disant "est-ce que le prix de revient moyen pour le producteur est de 300 ou de 350 ?" Si c'est le cas, il faut trouver les moyens pour que les entreprises rémunèrent les producteurs... Sinon 80% des producteurs vont arrêter d'ici la fin de l'année ! Et il faut arrêter cette concentration des outils laitiers [À ce jour, politique menée par le président de l'ACLCCP Jean Pierre Raffarin, NDLR].
Et deuxième chose qu'il faut faire aussi, c'est que nous devons porter ce dossier au niveau inter-régional à Bruxelles, parce que c'est la remise en cause de l'OMC, c'est la remise en cause du système libéral ! On a la chance d'avoir un nouveau commissaire européen qui irait plutôt sur ce territoire-là [...].
Dernier point : je crois qu'au niveau local, on se doit aussi de demander aux entreprises si on les accompagne financièrement. Et face à une répartition juste de la valeur ajoutée, il faut faire un produit de qualité [...]. Mais que enfin, on sorte de ce système où l'on est toujours en train de taper sur la grande consommation [...] : sauf que ce système libéral ne marche pas, et que c'est ça qu'il faut réorganiser demain... »
Le modèle ultra-libéral assassine les producteurs de lait indépendants !
Le vice-président Benoît Biteau, apparenté radical de Gauche, apporta du sang neuf et du tempérament... Les contributions de cet élu de choix semblent augurer de belles interprétations des choix présidentiels : « Pour renforcer ce que vient de dire Serge Morin : la crise du lait touche tous les paysans de France et de Navarre. La région Poitou-Charentes, qui a une orientation laitière depuis longtemps, est donc particulièrement frappée par cette crise laitière. Elle a été victime de décisions au niveau national qui mettent en grandes difficultés les laitiers ; avec notamment [la fin] d'un outil de régulation qui s'appèle les "quotas laitiers", qui permet d'être une parade à une politique ultra-libérale des produits laitiers et des produits agricoles en général... Et donc ces producteurs de lait sont en grande difficulté par rapport à la production de lait et à ce modèle ultra-libéral...
Producteurs de lait à qui on a demandé des efforts environnementaux importants par la mise aux normes de leurs bâtiments d'élevage, qui ont nécessité des investissements importants auxquels ils doivent faire face aujourd'hui, alors qu'il n'y a pas forcément de retour sur investissements suite à la mise aux normes de ces bâtiments d'élevage ! Et à une époque où on a un président de la République, au salon de l'agriculture, qui nous dit que "les questions environnementales, ça commence à bien faire !" Faut pas être surpris, avec la schizophrénie de ce style-là, que l'on ait pas moins de 800 producteurs laitiers qui se soient suicidés, rien que pour l'année 2009 !
Madame la présidente Ségolène Royal lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
Et puis moi j'ai été avec madame Royal quand on a reçu ces femmes, ces femmes de laitiers à Poitiers, il y a quelques jours [Voir la chronique : Agonie des producteurs de lait : femmes et enfants sur le pavé de Poitiers, NDLR], dans le cadre d'une manifestation qu'il y a eu ici à Poitiers... Et la détresse de ces gens-là est palpable ! Quand on a une mère de famille qui vient nous dire que ses enfants n'osent même plus lui parler de leurs dates d'anniversaires parce que ces enfants-là savent très bien que c'est un sujet tabou parce que ces parents-là ne peuvent même plus honorer la date anniversaire de leurs enfants ! On est dans une situation relativement dramatique !
Et donc l'intérêt de la délibération qui est soumise aujourd'hui à cette assemblée, c'est d'essayer, à court terme et de façon urgente, de développer une filière équitable qui permette à ces producteurs laitiers de vivre de leur métier ! C'est plus le cas aujourd'hui ! Et on est pas dans un schéma agricole où, comme les céréaliers, le monsieur travaille sur sa ferme et, à côté, la femme est infirmière ou institutrice, comme on le voit aujourd'hui beaucoup dans les fermes... Quand on est producteur de lait, les femmes sont largement concernées par cette production-là parce que c'est deux traites par jour et que les femmes sont largement impliquées dans ce geste de production-là !
Et que ces femmes-là, qui travaillent largement autant que leurs maris aujourd'hui sur ces fermes-là, n'ont même plus d'argent pour nourrir leurs enfants ou honorer les anniversaires ! Et je peux vous assurer qu'on a été témoin de témoignages particulièrement émouvants...
Et l'autre intérêt de la démarche proposée aujourd'hui par la Région, c'est de revenir sur une démarche identitaire qui permette, localement, d'identifier un produit de qualité en région Poitou-Charentes et de se démarquer sur un marché qui est relativement massacré aujourd'hui, avec du lait qui vient de je ne sais où, dont on ne sait pas toujours comment il est produit ! Et donc l'intérêt de cette démarche, c'est qu'elle inscrit également la production laitière régionale dans une démarche identitaire. »
Manifestation de l'APLI à Poitiers envoyé par kritixTV.
Le 3 avril 2010, femmes et enfants de producteurs laitiers indépendants (APLI) manifestèrent à Poitiers pour leur survie. 800 bougies furent allumées et déposées dans l'église Notre-Dame-la-Grande en mémoire des 800 agriculteurs qui se seraient suicidés en 2009.
Fidèle à ses convictions, Henri de Richemont ne défendit pas l'indéfendable
Le conseiller UMP Henri de Richemont sut ne pas se détourner de l'intérêt général, malgré les consignes de partis : « Oui, madame la présidente... C'est effectivement un sujet sensible et on a raison de parler de la situation de détresse des éleveurs... Et j'ai été moins même, samedi dernier, au festival laitier de Chabanais : nous avons entendu les producteurs, les éleveurs et même les coopératives ! Moi je voudrais, à la suite de votre intervention et des interventions précédentes, apporter les précisions suivantes...
Madame la présidente, en ce qui me concerne, je suis contre la régionalisation des aides au niveau régional, des aides européennes : la PAC est la seule politique européenne commune. Je suis contre l'Europe des Régions... Je crois que l'Europe ne peut se constituer qu'en s'appuyant sur des États... Et le début de la régionalisation des aides, c'est le démantèlement de l'État comme unique interlocuteur de Bruxelles et je pense qu'il faut maintenir cette limite.
Par contre, je suis totalement d'accord avec vous et avec les interlocuteurs et les orateurs précédents, lorsqu'ils disent qu'il faut préserver la politique des quotas laitiers. [Il ne faut pas] une politique agricole sans régulation : l'agriculture ne peut pas être ouverte au libéralisme absolu... Et donc il faut maintenir [la régulation] pour protéger nos éleveurs, pour protéger l'agriculture française, pour protéger l'agriculture régionale... Il le faut absolument et nous sommes tous rassemblés derrière cela pour avoir une véritable régulation qui protège nos éleveurs.
Maintenant, en ce qui concerne le dossier qui nous est proposé. Je dirais que, à la lecture de ce rapport ça me paraît un petit peu compliqué de savoir exactement ce qu'est l'office du lait... En fait, [l'office du lait c'est] une véritable société commerciale qui va acheter le lait aux coopératives, au même prix que les coopératives le vendent à la grande distribution. [...] Et l'office du lait — cette société qui va être créée — a réussi à obtenir un partenariat avec les grands distributeurs. Me semble-t-il, il n'y aurait que le groupe Leclerc qui serait partenaire de cette opération. La grande distribution, au lieu de payer 37 centimes aux coopératives, accepte de payer 50 centimes à l'office du lait ! Et la différence sera partagée entre les différents agriculteurs concernés. Et il y est indiqué également que les grandes distributions concernées s'engagent également à vendre un peu plus cher le lait qui sera labellisé "lait équitable".
En lisant votre rapport, on pourrait croire que cette politique se fait contre les coopératives ; mais vous avez corrigé, madame la présidente, en disant que cette politique ne peut se faire qu'avec l'appui des coopératives. Et les grandes coopératives, ce sont elles qui vont emballer et empaqueter et vendre le lait à l'office du lait sous le nom de "lait équitable". Donc les coopératives sont absolument partie prenante dans cette politique.
Le conseiller UMP Henri de Richemont lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
Cette politique aujourd'hui, qui doit être encouragée, ne concerne que 5% des producteurs [laitiers de la région] ! Et les 95% des autres producteurs, ils continueront à se voir payer le lait au prix auquel il est payé aujourd'hui.
Alors la question est la suivante : si la grande distribution — en particulier le groupe Leclerc : les autres, je ne sais pas — accepte de payer 50 centimes à l'office du lait qui va être crée demain, pourquoi n'accepterait-elle pas de payer 50 centimes à toutes les coopératives qui vendent le lait équitable ; et faire en sorte que 100% des éleveurs puissent bénéficier de ce lait à un prix payé convenablement ! Si les grandes distributions peuvent le faire pour les uns, ils peuvent le faire pour tous !
Et nous nous disons qu'il ne faut pas laisser croire que cette politique, pour laquelle je voterai tout à l'heure, puisse régler à elle seule le problème... C'est un pas dans la bonne direction, mais ce n'est pas un pas suffisant : l'important, c'est de faire en sorte que la grande distribution puisse payer, à tout le monde, un prix décent. Et que, encore une fois, si elle peut réduire les marges pour les uns, elle doit pouvoir réduire les marges pour les autres !
Mon deuxième volet, c'est de dire : il y a un véritable problème avec notre principal concurrent qui est l'Allemagne... Les producteurs allemands [...] reçoivent un prix du lait de moins 15% que nous ! Et aujourd'hui il y a une importation importante de lait allemand sur le territoire français qui oblige les coopératives à s'aligner sur le lait allemand ! [...] C'est la raison pour laquelle la question est sur les prix de revient... Mais, est-ce que vous ne croyez pas qu'il serait souhaitable de faire comme les Länders allemands : pouvoir aider massivement nos éleveurs et tous les éleveurs sans aucune discrimination aucune, afin de faire en sorte que leur prix de revient diminue et non de leur imposer des contraintes supplémentaires ; comme certaines politiques de la région ont tendance à le faire !
Alors je résume pour vous dire : à partir du moment où c'est un pas dans la bonne direction et qu'il faut tout faire pour aider cette production [...] qui est aujourd'hui en péril, il est bien évident que l'on ne peut que encourager [la délibération]. Mais il ne faut pas laisser croire que c'est la solution pour régler le problème... Le problème, il passe par les quotas laitiers, par le fait que toutes les grandes distributions doivent payer le même prix aux coopératives et [par le fait] de régler le problème de nos coûts de revient.
Alors nous avons, certains d'entre nous, une inquiétude : en laissant croire que cette politique serait la seule qui permette de régler le problème du lait, ce serait dissuader les mouvements, qui sont en cours, de nouvelle coopération agricole au niveau du gouvernement... [...] Mais nous sommes tous réunis pour penser que tout ce qui est fait dans le bon sens pour aider des éleveurs de lait, doit être fait... Mais il ne faut pas croire que cette opération, qui est une opération de niche, va à elle seule régler le problème... Et c'est la raison pour laquelle, il faut faire en sorte que le "lait équitable" soit, madame la présidente, payé à un "prix équitable". »
Filières agricoles : des identités majeures pour la France
La présidente Ségolène Royal se remémorant tous les instants fugaces de ces dernières semaines, épuisa méthodiquement les lenteurs de l'urgence :
Madame la présidente Ségolène Royal lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
« J'ai suivi très attentivement ce que vous avez dit. [...] D'abord vous avez cité les Länders allemands... Précisément, en Allemagne, il y a une régionalisation des aides de l'Europe. Pas de toutes les aides agricoles [...] : il s'agit des aides du premier pilier de la PAC. C'est précisément parce qu'il y a, en Allemagne, une possibilité pour les régions de gérer, dans les dimensions régionales, une partie de ces aides, que ces aides soient plus équitables et qu'elles peuvent permettre de mettre en place des filières plus performantes. Car, est-ce qu'il est encore acceptable que 80% des aides européennes à l'agriculture continuent à aller à 20% des exploitants agricoles ? [...] Et si l'on veut rééquilibrer cette façon de faire — car manifestement il est impossible d'obtenir le rééquilibrage européen — on ne peut faire de façon très concrète et très opérationnelle qu'en obtenant une partie de la régionalisation des aides au premier pilier de la PAC... Y compris, cela nous permettrait d'avoir un travail inter-régional ; en particulier entre régions d'élevages. Et nous pourrions ainsi coupler le ciblage d'un certain nombre d'aides économiques européennes agricoles, avec la mise en place de la filière équitable !
Donc vous voyez qu'il y a un lien entre la première observation que vous avez faites, qu'il y avait une opposition entre la régionalisation des aides et la constitution de l'Europe... Mais il n'y a pas d'incompatibilité entre l'Europe — qui s'appuie bien évidement d'abord sur les États — et la régionalisation des aides, bien au contraire ! Je pense que les États seraient beaucoup plus puissants s'ils pouvaient défendre leur agriculture, au premier rang desquels la France [qui] est la première puissance agricole d'Europe ! Et c'est la France qui aurait intérêt à développer la régionalisation des aides pour permettre de sauver, non seulement une profession qui est indispensable à l'équilibre de notre territoire, mais qui est presque un service public rendu à notre territoire en terme d'occupation de l'espace, en terme de vitalité de nos communes rurales... C'est à dire que, dans la façon où on rejette cette profession aujourd'hui dans la misère, il n'y a même pas la reconnaissance du rôle culturel, agricole, social, environnemental, historique même, d'équilibre d'un territoire régional.
Donc je crois qu'il y a une articulation indispensable à trouver entre l'Europe des États, l'Europe de Nations, et les politiques régionales qui permettent de sauver les filières agricoles qui sont des identités majeures pour la France en général et pour notre région en particulier.
Vous avez évoqué ensuite la question des coopératives... Je dirais qu'il y avait presque la réponse, dans les propos que vous avez tenu, à la question que nous posons. Si la région, aujourd'hui, vous propose de délibérer sur la façon d'encourager, sur la volonté d'encourager les filières coopératives, c'est précisément pour obliger l'Association Centrale des Laiteries Coopératives à bouger... Car elle a été et elle est cruellement absente dans cette crise ! À la limite c'était à elle, cette association centrale des coopératives, de prendre les initiatives... Or qu'est-ce que l'on voit ? On voit des producteurs qui sont démunis par rapport à leur structure professionnelle ! Qui n'ont pas accès à la transparence des comptes ! Qui n'arrivent pas à se faire entendre dans les assemblées générales ! Qui ne parviennent pas à mettre en avant des initiatives originales et créatives sur le "lait équitable" telles que celles que nous proposons aujourd'hui !
De gauche à droite : le DGS Jean-Luc Fulachier, la présidente Ségolène Royal et le premier vice-président Jean-François Macaire, lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
Et donc à la fois nous prenons l'initiative, dans l'appel à projets, pour pousser en avant des initiatives innovantes qui permettent aux éleveurs de se prendre en charge, avec l'appui de la région, pour contrôler la répartition de la valeur ajoutée sur la totalité de la filière de production. Et en même temps, nous n'écartons pas les coopératives qui voudraient se mettre dans ce mouvement ! [Et je tiens à ce que] l'Association Centrale des Laiteries puisse se mettre dans ce mouvement que nous déclenchons au niveau de la Région ! Parce que aujourd'hui, il y a une inertie incompréhensible ; une façon de voir ces structures totalement figées dans l'existant et contemplant les difficultés et la montée de la détresse dans ces professions qui devraient être défendues d'abord par leur coopérative ! Il y a la perte de la culture coopérative, la perte de ce qui a fait l'idéal initial des coopératives ; [idéal] qui faisait, en effet, que c'étaient les coopérateurs, c'est à dire les producteurs — qui, je le rappèle au passage, sont prélevés d'une taxe dont ils n'ont aucune explication aujourd'hui, aucune transparence sur l'utilisation, sur les reversements de cette taxe, sur le produit de cette taxe et sur la façon dont ils voudraient voir leur profession autrement organisée.
Autrement dit, comme dans d'autres domaines, la région se veut à l'initiative, se veut emplie d'une mission d'éclaireur du futur. Elle ouvre de nombreux chemins ; en étant appuyée sur une base, à la fois en détresse mais qui ne veut pas baisser les bras ; et qui veut reconstruire autre chose, avec d'autres principes, plus justes et plus équitables. Et c'est le concept même de "lait équitable" que je suis heureuse de vous voir soutenir, dans les propos que vous venez de tenir monsieur de Richemont ! »
L'office du lait : la Fraternité que la République attendait
Le vice-président Benoît Biteau, pour qui le développement durable est une éthique sacerdotale : « Oui merci madame Royal de ces précisions... [...] Si en Allemagne on arrive à faire des choses intéressantes, c'est justement parce que on a régionalisé [les aides de la PAC]. En ce qui concerne le système coopératif, moi je fais souvent référence au dictionnaire. Et quand j'ouvre le dictionnaire à coopérative, je vois "mutualisation des moyens de production"... Et effectivement, on peut discuter la façon dont la coopération laitière s'organise... Parce que la mutualisation des outils de production, c'est plus du tout d'actualité !
Et ça me permet d'enchainer sur la notion "d'office du lait". [...] Ce n'est pas du tout une société commerciale, mais c'est bien une démarche solidaire ; une démarche de tous les producteurs qui souhaitent mutualiser leur production pour faire une offre intéressante aux industriels du lait, de manière à ce que, par cet office du lait, [les producteurs] puissent avoir un moyen de pression sur un prix rémunérateur...
Et donc quelque part, [ça permet de montrer] les vertus de la coopération qui, rappelons-le, en région Poitou-Charentes, a été un mouvement très fort ! La coopération est née ici ! On peut presque dire ça ! Et aujourd'hui, elle est complètement dévoyée, éloignée de son cercle vertueux ! Et donc aujourd'hui, un office du lait peut permettre, aussi, de retrouver une coopération qui sert effectivement ses producteurs dans une démarche de mutualisation des moyens de production.
En ce qui concerne le volume [de producteurs laitiers] qui pourrait passer aujourd'hui dans cet office du lait — il est d'ailleurs supérieur à 5% sur la région — il faut bien amorcer la pompe à un moment donné ! Et si c'est possible avec 10% ou 20%, ce sera possible demain avec la totalité de la production : il suffit juste de faire la démonstration que c'est possible ! Et à partir du moment où on est dans la démonstration que c'est possible et que ces gens-là réussissent quelque chose, pourquoi ne pas imaginer de le vulgariser et de le développer à grande échelle ? »
L'opposition monte brutalement au créneau, sous le regard attristé d'Henri de Richemont
Le conseiller et opposant Xavier Argenton attaqua frontalement la présidente :
Le conseiller Nouveau Centre (opposition) Xavier Argenton lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
« Il me semble important de soutenir [la filière laitière] [...]. Je ne suis pas sûr que la comparaison entre la France et l'Allemagne sur la régionalisation de la politique agricole commune soit [opportune] : [...] on ne peut pas comparer l'organisation française et l'organisation allemande [...]. En revanche, si j'ai bien compris dans le rapport ; c'était, sur un sujet aussi compliqué, relativement clair : j'ai le sentiment que vous souhaitez une nationalisation de la politique régionale [pour faire une union entre régions de même] obédience politique. Mais, dans le rapport, je n'ai pas trouvé le montant de l'engagement financier de la région ! [...] Quel est le volume financier que la région projète d'engager dans cette politique nouvelle ? »
La présidente Ségolène Royal prit de la hauteur et remit les choses à leur place : « Je répondrai sur le dernier point, car je ne répondrai pas à l'observation précédente, parce que les électeurs ont décidé des obédiences politiques, comme vous dites, des grandes régions d'élevages... Nous travaillons au-delà des clivages politiques [...].
Sur le dernier point. Nous délibérons sur les grandes orientations ; et les engagements financiers viendront lors de la prochaine commission permanente, après la réunion de la commission souhaitée par Monsieur de Richemont.
— Bravo, madame la présidente ! » lança Henri de Richemont, loyal.
Le conseiller UMP Olivier Chartier tenta de sortir le président Jean Pierre Raffarin de l'ornière : « Oui ! Madame la présidente, je m'interroge sur ce rapport. Puisque, comme Henri de Richemont, je soutiens cette démarche, en cette période de crise laitière, pour soutenir les producteurs... Mais je comprends mal la façon, la synergie, [avec laquelle] va fonctionner cet office du lait avec les organismes existants... Et notamment tout le travail et tout le mouvement qui est en train de se faire au sein des coopératives : vous savez très bien qu'il y a des sujets qui sont actuellement en cours pour faire évoluer la coopération laitière... C'est un sujet très difficile et il me semble effectivement étonnant que, étant donné que nous sommes sur 5% — ou peut-être un peu plus — de la production laitière de Poitou-Charentes, il semble absolument difficile de ne pas citer dans ce rapport la façon dont tout ça peut s'organiser, au niveau régional ou inter-régional, avec le mouvement des coopératives laitières en cours...
Le conseiller UMP Olivier Chartier lors du conseil régional de Poitou-Charentes du 19 avril 2010.
J'ajoute que sur l'organisation du système coopératif, c'est aussi les producteurs, dans les conseils d'administrations, qui décident et qui doivent aussi pouvoir faire évoluer les choses...
[...]
Un mouvement est enclenché, c'est difficile. Mais effectivement, il faut aussi pouvoir se poser les bonnes questions [...] et la crise laitière, c'est la question des charges financières... C'est pour ça que le gouvernement étudie la question d'un moratoire, notamment, sur les charges financières et aussi sur les normes environnementales. Et il est clair qu'il n'est pas possible que [ces normes] soient appliquées chez nous et qu'elles ne soient pas appliquées partout en Europe... Cela aussi contribue, effectivement, à alourdir financièrement les comptes de résultats des exploitations.
Effectivement, sur les normes environnementales, nous sommes très prudents. Et je crois que, madame la présidente, la gestion que la majorité a pour cette région devra particulièrement être attentive aux questions d'ordre écologique qui pénalisent lourdement un certain nombre de comptes de résultats de nos agriculteurs »
Les Soviets sont persona non grata
Le vice-président Georges Stupar, désormais divers gauche, à la bonne humeur communicative : « Juste un petit mot pour rassurer monsieur Argenton [...]. Je crois ne pas trahir notre pensée en disant qu'il n'y aura pas de soviets du lait en Poitou-Charentes !
— Çà on sait pas ! » fit l'opposant Henri de Richemont, souriant, visiblement embarrassé par le ton UMP de son voisin de droite.
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